Amalgames

Amalgames

Synopsis

Janvier 2017. Amir écrit à sa sœur jumelle. Il raconte son quotidien en Europe à travers sa « nouvelle famille ». Amir décrit ce qu’il voit : un garçonnet et son amour impossible, un père de famille luttant pour joindre les deux bouts, un chef d’entreprise nostalgique de temps révolus, une artiste en herbe en proie à elle-même, une employée de musée qui part en vrille, et enfin Oma, ou « Maman » comme Amir l’appelle affectueusement.

Amir a des problèmes : il a trahi Maman et celle-ci l’a foutu à la porte. Va-t-il se réconcilier avec sa famille d’adoption ? Qui lui accordera le salut dont il a tant besoin ?

*

Commencé en 2016, Amalgames a connu une longue gestation. Sa forme actuelle date de 2020. Il est aujourd’hui terminé et subit un ultime processus de révision.

Extrait

Il était dix-neuf heures et Stefan passait la brosse éclaircissante afin de gommer l’ombre derrière les balles de foin. C’était une publicité pour un supermarché en plein air, pas pour un SUV et ça justifiait qu’on joue un peu avec la vérité. On était en 2017, il fallait se vendre – et puis tout le monde utilisait Photoshop aujourd’hui de toute manière.

[…]

Stefan créait un nouveau calque pour supprimer une poubelle à l’avant-plan lorsque sa fille unique soupira pour dire bonjour. Sophie avala un biscuit cuisiné par Oma et soupira plus bruyamment encore par sûreté.

« Qu’y a-t-il ma chérie ? demanda Stefan qui s’empoignait avec cette satanée poubelle.

– Si on avait de l’eau chaude, ce serait formidable.

– Elle est bonne, Zosia, pas besoin de se brûler…

– Il n’y a rien qui fonctionne ici, maugréa Sophie, la chasse d’eau, le robinet, même l’évier fuit.

– Tu te rappelles d’Uruk, déclara Stefan au ralenti tout en levant les yeux de son écran.

– Papa…

– Tu sais donc pourquoi on en est arrivé là ?

– Où ça, Papa ?

– Là, ici, partout, les gens tristes qui s’ennuient mais ont peur de tout… Gavés de télé et malheureux comme des oies d’élevage… »

Sophie roula des yeux.

« Le confort, ma fille, déclara Stefan gravement, c’est la recherche du confort. Même Harrari le dit…

– Papa, s’il te plaît, il n’y a pas que Harrari dans la vie…

– Écoute Zosia, c’est important. On était fourrageurs, tu sais, nomades, on avait la santé, une nourriture variée, une vie épanouissante et puis…

– Et puis ? s’enquit Sophie résignée.

– Et puis on a tout sacrifié pour avoir les pieds propres et du shampooing antipelliculaire. On a construit des murs pour se protéger des bestioles. Des champs puis des greniers pour avoir le blé à portée de main. Du jour au lendemain, on s’est retrouvé piégé par notre pain quotidien. La vaste cité d’Uruk fut érigée en Mésopotamie. Très vite, l’écriture apparut, l’argent, l’art, l’armée, les savants… Mais aussi les maladies, la malbouffe, l’exiguïté, le travail répétitif, l’anxiété…

– L’écriture, l’art, c’est bien non ? fit Sophie d’un ton provocateur qui irritait son père à tous les coups.

– Retiens bien cela, ma pauvre fille, le confort mène au pire.

– Un père contre la civilisation, c’est bien ma veine… Ton macbook, là, tu l’as trouvé dans la forêt ?

– Dans le mille », fit Stefan qui mimait avoir reçu une balle en pleine poitrine.

Sophie pourtant ne riait pas. Il lui fallait raisonner son père qui avait des idées pas imaginables parfois et c’était un job à plein temps. C’est malheureux, mais il fallait être réaliste : ce monde, on pouvait pas faire autrement. Il n’était pas parfait, ça pour sûr, mais il fallait le prendre comme il était, c’était lâche de le laisser et même dégueulasse en vrai. C’est comme si tu adoptes un papa et puis tu mets fin au contrat car il n’est pas bon bricoleur et le jet de douche est une catastrophe dans le genre, et Sophie sourit intérieurement à l’idée de son père congédié avec sa clé de douze à la main et sa boite à outils qui n’a jamais engendré que des débordements.

Sophie alla à la cuisine et se fit un croque-monsieur accompagné de concombres à la Russe, elle raffolait de ces délices marinés et le croque-monsieur en vérité c’était pour sa mère, Sophie se bâfrerait volontiers de concombres uniquement mais il y a des règles que personne n’a écrit et qui vous empêchent de vivre en paix sans qu’on sache pourquoi.

Après l’école, Sophie avait faim car écouter les fantaisies des professeurs ça lui creusait le ventre.

Elle alluma l’écran de télévision, lança un DVD et s’assit avec son assiette sur les genoux. C’était l’un des dix films qu’elle avait le droit autrefois de regarder quand elle était petite, et maintenant elle le faisait par nostalgie car elle connaissait par cœur les dialogues et ça l’aidait à se vider l’esprit. Sophie croquait dans un concombre et l’écran Gaumont apparut et elle se dit que la vie était belle quand même, quand c’est possible.

Stefan demanda de baisser un peu le volume car il ne finissait pas d’en découdre avec sa poubelle. Voilà à quoi on en est réduit comme humain aujourd’hui, se dit Stefan et il y avait pire mais quand même. Stefan était convaincu qu’Uruk avait été un tournant de l’Histoire. Cette première agglomération de quelques dizaines de milliers d’habitants avait poussé l’Homme dans la lumière avec l’écriture, et après les emmerdes ont suivi sans se faire prier. Forte de ses surplus de nourriture, Uruk avait projeté le genre humain de l’autre côté du miroir et après c’était plié à cause des cercles qui sont toujours vicieux dans ces cas-là.

[…]

Comme toutes les révolutions, la sédentarisation fut irréversible. Elle s’empara d’un être en symbiose avec la nature et enfanta un psychopathe qui ne peut voir un insecte sans vouloir l’écraser ou une jolie fleur sans l’arracher pour la faire pourrir dans un récipient qu’il a créé dans ce but.

Stefan était persuadé que cette course effrénée vers le confort était la source de tous nos problèmes, car on n’avait pas fait pire comme boîte de Pandore. Comme jadis à Uruk, des décisions terribles étaient prises aujourd’hui pour quelques miettes d’agrément. Domestiquer le blé et en faire la source unique de nutriments, s’entasser dans les villes et s’esquinter dans des boulots toujours plus inutiles, ça n’avait été qu’une longue série de mauvaises décisions. À présent, c’était la Terre et sa flore et sa faune qui étaient en danger. Comme la révolution agricole, cette enjambée que nous faisions à cette heure était une erreur que nous aurons à jamais sur l’ascendance.

Stefan avait mal au cœur quand Sophie se plaignait de l’eau froide mais il devait tenir bon :

il lui rendait service, il le savait, c’était son devoir de père et c’était criant comme évidence. Il est vrai que la plomberie était dans un sale état, ils avaient tout monté à deux avec Mathilde et elle avait été patiente oh ça oui, mais c’est vrai qu’ils n’étaient pas des professionnels et les robinets n’en faisaient qu’à leur tête. Sophie devait s’y faire cependant, elle le remercierait plus tard et ça lui était égal de toute façon, c’était en hommage à nos ancêtres nomades et puis c’est vrai que les siphons c’est une sacrée tuyauterie, je vous dis ça comme je le pense.

Stefan regardait Sophie qui se gavait de concombres et il lui vint au cœur un élan de ferveur. Stefan observait sa fille qui riait devant l’écran de télévision et il comprit que ses paroles aussi étaient des outils. Depuis l’aube des temps, on n’avait rien fait de mieux que les enfants à cause de la jeunesse : il fallait leur parler, et les écouter ça c’était moins évident à cause de l’expérience et de la sagesse, mais c’était crucial en vérité. Après tout, c’étaient eux le futur et il fallait se remettre tout entier entre leurs mains.

[…]

Cliquez ici pour télécharger un extrait gratuit de mon nouveau roman Amalgames.

Découvrez l’histoire de Michael, un père de famille livreur à Vienne qui doit faire des pieds et des mains pour ne pas perdre l’équilibre (fichier PDF, 50 pages).

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