Travail en cours
/ Epopées
Synopsis
Quentin souffre des humiliations répétées qu’il a subi étant adolescent. Charles cherche à combler le vide moral qui le dévaste à l’intérieur. Sarah est paralysée à l’idée d’échouer… Six amis combattent leurs maux à leur façon : six amis mènent des épopées formidables, d’autant plus prodigieuses qu’elles sont ordinaires.
Malgré leur différences, nos héros comprennent qu’ils sont davantage que des compagnons d’infortune : un lien mystique les unis en toute circonstance. Quelle étrange magie joint leurs destinées comme un rameau mais les colore chacune de tonalités si particulières ?
Six parcours individuels mais mêlés, puisqu’on est rien tout seul et que l’être humain est une espèce. Six parcours d’individus et d’amis, qui s’aiment et se détestent, s’admirent et se méprisent, incapables de se comprendre mais qui essayent pourtant de vivre ensemble.
*
Commencé en 2014, je me suis plongé dans la rédaction des Épopées avec frénésie pendant deux ans, au rythme de 300 pages par an. Récit de première importance pour moi, le premier jet est achevé et compte près de 600 pages à ce jour. Depuis 2017 malheureusement, je ne puis m’y consacrer faute de temps. Puisque Amalgames est terminé, je puis à présent reprendre le polissage du texte. Ce travail me prendra vraisemblablement quatre à cinq ans ; un à deux ans si je puis m’y atteler pleinement.
Extrait I : La soif de Charles
Assis en tailleur dans la grotte, Charles fixait un feu de bois qui projetait une lumière chaude sur la pierre grise et humide. Hormis les crépitements du brasier, le silence était total.
Quelques jours par an, Charles s’isolait dans cette grotte à l’abri du temps et des hommes qui s’agitaient au-delà. Plus d’automobiles bruyantes, plus de tramways bondés, plus d’usines cracheuses de grisaille ; plus de vendeurs de journaux, plus de cireurs de chaussures, plus de prostituées ; plus de malades, plus de mendiants, plus de désoeuvrés. Personne à aider, personne à sauver, personne à combattre : seul avec son esprit, Charles tenait tout principe moral à l’extérieur de la grotte.
Face au feu de bois, Charles se concentrait sur les flammes. Depuis tout petit, il était convaincu que le feu était fait d’une matière spéciale. Malgré son aspect aérien, selon lui, le vide n’y avait pas droit de cité : au contraire, Charles était persuadé que ces flammes étaient la plénitude même. Une plénitude cachée que nul homme n’avait pu jusqu’à présent appréhender.
Depuis quatre jours, Charles n’avait rien mangé. Protégé des forces fausses et vides qui s’agitaient au dehors, il guettait depuis quatre jours la vérité qui avait déserté le monde tout autour.
À l’intérieur de lui-même, il scrutait chaque mouvement, chaque indice qui pourrait le mener au dénouement de l’enquête de son existence : trouver le sens dans les mains desquelles il pourrait enfin se confier pleinement. Charles avait soif et il n’y avait qu’une chose qui l’étancherait : seul l’absolu apaiserait la soif qui le rongeait. Peu importe la nature de la vérité qu’il découvrirait, peu importe les souffrances qu’il endurerait. Il aurait fait le tour du monde, pourvu qu’il lui fut donné d’avoir foi en quelque chose.
Ivre de la chaleur que le feu de bois irradiait sur son corps et son visage, Charles fixait cette vie en mouvement et tenta d’immobiliser, par la pensée, le mouvement des flammes. Mais comme l’eau coule entre les doigts de celui qui veut la capturer, le feu se dérobait quand Charles voulait le fixer dans l’air. Charles observait les flammes danser et il focalisa son attention au point d’en avoir mal. Alors que ses yeux – immobiles depuis des heures – et sa chair ankylosée lui procuraient une douleur aiguë et lancinante, la douleur qui tenaillait l’esprit de Charles qui se concentrait sur la flamme était dix fois plus forte encore. Charles sentait qu’il fallait persévérer : si c’était facile, nombreux y seraient déjà arrivés. Il redoubla d’effort ; bientôt, la douleur dans son crâne devint insupportable.
Charles sentit une lourde masse heurter sa tête et s’endormit.
Lorsqu’il s’éveilla, la clarté vive du ciel l’éblouit tant qu’il dut fermer les yeux. Tandis que son corps roulait au seuil de la grotte, Charles vit le feu immobilisé en rêve. Inconscient pendant quelques secondes, la vision du brasier avait pénétré son esprit : pleine et immobile, la flamme qu’il avait fixé pendant quatre jours se mélangeait dans l’esprit de Charles avec le ciel dont elle semblait elle-même incrustée. Les traînées de nuages cotonneux rappelaient le dessin de la flamme qui s’était imprimée durablement sur sa rétine : Charles reconnut dans le ciel, extraordinaire et souveraine, la flamme qui l’emplissait tout entier.
C’est alors que Charles sentit la sève l’envahir. Cette fois, le fluide chaud embrasa sa chair comme il n’avait jamais connu. Chaque atome de sa chair palpitait et irradiait comme le soleil. Une jouissance éblouissante envahit le corps de Charles : une ivresse d’une intensité dont il ignorait jusqu’alors la possibilité.
Une plénitude si puissante qu’il dut fermer les yeux tant elle l’étourdissait.
Alors il sentit la chaleur venant du ciel. Jaillissant de la flamme qui l’emplissait tout entier, la chaleur piquait l’intérieur de sa rétine. Il la sentait irradier contre sa paupière fermée. Charles ouvra les yeux et vit s’étirer la laine que les nuages tressaient dans la ciel. Le ciel, étincelant, semblait irréel. Avec ses dernières forces, Charles tendit son esprit vers cette chaleur. Tandis qu’il s’écroulait, sentant la pierre froide contre son front, la chaleur lui parla : « Charles », fit-elle. Claire et rayonnante, la voix ajouta : « Charles, écoute moi. Dieu t’entends. Il tient la vérité dans sa main. Charles, sois patient. Ta route s’achève : bientôt tu me reconnaîtras. »
Tremblant comme une feuille, Charles remercia Dieu et le pria toute la nuit.
[…]
Extrait II : Vous parliez de beauté ?
– Thomas Mann a dit : « Il n’est guère d’artiste qui n’éprouve naturellement une voluptueuse et perfide disposition à consacrer l’injustice qui engendre la beauté. »
Soudain rajeuni de dix bonnes années, l’homme de lettres respira profondément et rabattit ses jambes sous lui en tailleur.
– Cet été, dit-il, j’ai été à l’endroit le plus merveilleux. Il s’appelle Erice. C’est en Sicile. On y apprend que la beauté est exigeante. Le village antique est perché sur un caillou pelé au coeur d’une plaine luxuriante. Ça grimpe. Pas d’ombre – le soleil tape. Arrivé en haut, on comprend combien la beauté est capricieuse : au sommet d’Erice, il y a toujours du brouillard. Il faut s’armer de patience, car la beauté est pudique et l’Homme est malvoyant. Quand le voile se lève après dix minutes d’attente, elle se répand pendant quelques secondes. Soudain, tout est clair, limpide : la brume laisse place aux détails les plus incroyables. La beauté prend à la gorge puis disparaît aussi vite. Vénus préside, et on ignore quand ses voiles vont tomber : elle danse et nous attendons.
– Tu fais l’apologie de la beauté ou tu cites le guide du routard ? persiflait Quentin la main au menton.
– Tandis que le brouillard régnait partout, poursuivait l’homme de lettres, un couple est arrivé : une jeune garçon et une jeune femme magnifique. Parvenus jusqu’au petit square suspendu dans les airs où j’étais assis, face à un panorama vertigineux qu’ils ne pouvaient voir, le jeune homme grimaça, fit signe à sa splendide conquête et nos deux tourtereaux passèrent leur chemin. Quelques secondes plus tard, la brume se dispersa et on vit, dans une lumière totalement irréelle, la colline d’Érice émerger de la même façon que Vénus était née.
– Et alors ? fis Quentin. Ils n’ont vu que la brume, ils n’ont pas vu…
– C’est ça. La plupart des hommes ne voient pas la beauté. Ils possèdent cette beauté sans le savoir. Alors que ceux qui la voient sont incapables de la tenir entre leurs mains, les rustres tordent cette beauté avec leurs doigts sales sans jamais pouvoir la contempler. Nous sommes tous condamnés à désirer ce que nous n’aurons jamais.
– Toi, sans aucun doute, rétorqua Quentin en fixant son ami littérateur.
– Si c’est mon destin… admit l’écrivain avec un sourire.
Extrait II : Vous parlez de beauté ?
À cet instant, un groupe de jeunes gens assis sur l’herbe se mit à rire à gorge déployée. Une jeune femme avait voulu faire la roue et s’était retrouvée les quatre fers en l’air. Elle avait des vêtements amples qui couvraient ses jambes jusqu’à la pante des pieds.
« Depuis tout à l’heure, ils s’essayent à toutes les disciplines du cirque, observa le scientifique.
– Ils y arriveront bien un jour… dit l’écrivain sans moquerie.
– Je ne sais pas, fit Quentin. En tout cas, elle est jolie.
– Tu trouves ? s’exclama, perplexe, le scientifique.
– Ah oui… Positif. »
Tous deux se tournèrent vers l’écrivain. L’homme de lettres se mit à rire.
« Eh ! quoi, fit-il, vous attendez ma bénédiction ?
– La beauté, dit le scientifique, c’est ton sujet, non ? Tu es écrivain ou quoi ?
– Mon sujet, mon sujet… »
Fiodor se racla la gorge.
« Thomas Mann a dit : » Il n’est guère d’artiste qui n’éprouve naturellement une voluptueuse et perfide disposition à consacrer l’injustice qui engendre la beauté »
– Oui oui, mais qu’est-ce que toi tu penses de cette fille ? fit Quentin. Pas Thomas Mann, toi.
– Elle a du charme, fit Fiodor avec une grimace. Elle a quelque chose, c’est vrai. Son pantalon long qui virevolte, c’est poétique.
– C’est plus que de la poésie, répliqua Quentin. C’est réel.
– La poésie n’est pas réelle ? s’étonna l’homme de lettres.
– Je me fiche de la poésie : je parle de la beauté.
– Donc, la beauté doit être réelle ? demanda l’écrivain.
– Naturellement. Réelle et accessible » trancha Quentin.
Les yeux de l’homme de lettres se mirent soudain à pétiller. Ayant l’air d’avoir rajeuni de dix ans, il respira profondément et rabattit ses jambes sous lui en tailleur.
« Cet été, dit-il, j’ai été à l’endroit le plus merveilleux. Il s’appelle Erice. C’est en Sicile. On y apprend que la beauté est exigeante. Le village antique est perché sur un caillou pelé au coeur d’une plaine luxuriante. Ça grimpe. Pas d’ombre – le soleil tape. Arrivé en haut, on comprend combien la beauté est capricieuse : au sommet d’Erice, il y a toujours du brouillard. Il faut s’armer de patience, car la beauté est pudique et l’Homme est malvoyant. Quand le voile se lève après dix minutes d’attente, elle se répand pendant quelques secondes. Soudain, tout est clair, limpide : la brume laisse place aux détails les plus incroyables. La beauté prend à la gorge puis disparaît aussi vite. En plus d’être exigeante, elle est capricieuse comme une femme : Vénus préside à l’office, et on ignore quand ses voiles vont tomber. Elle danse et nous attendons.
– C’est mignon, fit Quentin, mais je me demande bien de quoi tu causes : tu fais l’apologie de la beauté ou du guide du routard ?
– Ne fous pas ma chute en l’air, rétorqua l’écrivain. Tandis que le brouillard régnait partout, un couple est arrivé : une jeune garçon et une fille magnifique. Parvenus jusqu’au petit square suspendu dans les airs où j’étais assis, face à un panorama vertigineux qu’ils ne pouvaient voir, le jeune homme grimaça, fit signe à sa splendide conquête et nos deux tourtereaux passèrent leur chemin. Quelques secondes plus tard, la brume se dispersa et on vit, dans une lumière totalement irréelle, la colline d’Érice émerger de la même façon que Vénus était née.
– Et alors ? Ils n’ont pas vu ce que tu as vu, fit le scientifique.
– Précisément. La plupart des hommes sont aveugles en ce qui concerne la beauté. Ils possèdent la beauté sans le savoir. Alors que ceux qui la voient sont incapables de la tenir entre leurs mains, les rustres tordent cette beauté avec leurs doigts sales sans jamais pouvoir la voir. Nous sommes tous condamnés à désirer ce que nous n’aurons jamais. »
Une pensée traversa soudain l’esprit de Quentin : son camarade écrivaillon, en effet, n’aura jamais cette beauté qu’il désire. Quentin sourit à l’idée que lui, au contraire, il l’aura bien.
Fiodor lui rendit ce sourire puis haussa les sourcils pour ne pas faire trop doctoral.
« Je ne suis absolument pas d’accord, fit Quentin d’un ton sucré. Tout le monde peut voir la beauté. Seulement, la beauté touche les sens différemment. La vie ouvre ou referme nos sens à la beauté.
– Il ne s’agit pas de vivre, fit l’écrivain. La beauté est comme la mort : il faut cesser d’exister pour l’apprécier.
– Dieu que les écrivains sont fatigants… geignit Quentin. Au contraire, la beauté n’a de sens que parce qu’elle dépend de la vie.
– Je suis d’accord avec Quentin, trancha le scientifique. Un nourrisson ne connaît pas la morale de ses semblables : il doit l’apprendre. Connaîtrait-il déjà la beauté ? »
Tous se tournèrent vers Albert. Un sourire se répandit sur la figure de l’écrivain qui, jusque là, faisait un peu la gueule.
« C’est quoi la beauté pour toi ? demanda-t-il en faisant signe à l’homme de science de s’expliquer.
– Je crois, fit ce dernier, que les personnes belles sont harmonieuses. Elles n’emportent pas sur elles les gènes mutés, nouveaux gènes possibles pour le futur de l’espèce humaine. Non. Ces derniers sont emportés par les bizarres. Les bizarres, dysharmonieux, charrient l’avenir. C’est aux beaux cependant de faire le tri entre les différentes destinées de l’espèce humaine. Ces gènes apportent-ils un mieux, une capacité intéressante que ne possèdent pas les beaux ? Si oui, la personne bizarre sera portée aux nues. Si non, elle sera simplement laissée pour compte et mourra. Ainsi les beaux ne peuvent et ne doivent pas innover. Leur tâche est de préserver l’état de l’ancienne espèce humaine, à chaque instant dépassée. Ainsi la beauté n’est pas progrès mais harmonie. Le plus triste, dans doute, ce sont les personnes laides qui, influençables, voulant imiter les beaux, oeuvrent à leur tour à rendre le monde conservateur ; ce faisant, ces personnes scient leur propre branche en quelque sorte puisqu’elle cautionnent un monde qui ne les favorise pas et tend au contraire à les nier complètement. La dysharmonie est une promesse de nouveauté : elle est mouvement. La beauté est immobilité.
– Voilà, conclut Fiodor, tu le dis toi même : la beauté est immobile, elle est immobile comme la mort. »
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Découvrez l’histoire de Michael, un père de famille livreur à Vienne qui doit faire des pieds et des mains pour ne pas perdre l’équilibre (fichier PDF, 50 pages).
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